13 Octobre 2017. Les nuages au dessus des montagnes allaient donner aux cieux l'illusion d'un champ profond infini, des ailes aux pilotes audacieux. Sans vent mauvais, le jour était idéal pour voler sous la rue de nuage qui s’apprêtait à se former le long de l'épine dorsale des Pyrénées. Vamos a Castejon de Sos! sur les traces invisibles des périples aériens d’Oriol et de Kevin Bonnenfant, entres autres, que retient désormais la mémoire numérique.
Soulèvement insurrectionnel. Les parapentistes qui volaient en meute, s’étaient volatilisées dans l’Azur immense et froid. Venues du Louron, l'escadrille avaient d'abord converger plein sud est sur le Nordnère, bastion de roches délitées qui défend l'accès des hautes terres. Une fois la place encerclée, la grappe multicolore s'éleva dans une ronde frénétique et se mit hors d’atteinte des sentinelles de pierre. Les verrous des portes d’Arrouge volèrent en éclats. Espingo, Nere et Hourgade furent toisés de haut par des mutins avides de hauts plafonds. La bande déferla sur les hauts sommets. A la frontière, elle se dispersa et certains dont moi firent cavalier seul.
Soulèvement orographique. J'avais décollé à 2300 mètres sur les pelouses en dessous du Subescale avec les camarades Piémontais. La chevauchée en Aragon prit fin à l'aplomb du Gallinero, pyramide herbeuse qui domine Castejon de Sos. Pour rentrer en France, je traçais sur les versants ouest de la vallée de Benasque. Le pic Cerler où je prévoyais de rebondir, ne recelait aucun des trésors que les châteaux en Espagne restituent habituellement aux vélivoles. Mais plus loin au nord, à l’aplomb du Tuca Espacs, l’ascendance tant espérée me délivra des bas fonds et me transporta au paradis à 4000 mètres d’altitude entre les pics d’Estatas et d’Albe. Le vol était droit et stabilisé. 4000 mètres à 16 heures en Automne en parapente. Je volais là où l’on avait toujours rêvé de voler, au large du puissant massif de la Maladeta, notre palais d'Hiver qui succombait à nouveau aux assauts de ceux venus du nord.
Changement d’état. Portée aux nues par la houle invisible, la voile regagnait le large Aragon. Elle et moi roulions, tanguions sans à coup. L'air d'octobre était transparent comme jamais, parsemé de bancs d’écume mouvants qui s’entrelaçaient au dessus de leurs sources natives:
Les forêts profondes du val de Créguenia au fond desquelles et à cette saison, ne coulaient que des torrents appauvris, les soulanes d’Estatas tachetées de pins à crochet coriaces et puis ces chaos de blocs chauffés à blanc de l'Albe. De ses terres brûlées par le gel et le soleil, jaillissaient les courants invisibles dont les amas d’écume se repaissaient mille mètres plus haut. J'effleurais à 4000 m Leur splendeur immaculée qui se dévoilaient puis s'effilochaient au grand jour.
Cumulus fractus! Leurs ombres modéraient l’éclat le soleil qui plus bas incendiait la Sierra Negra. Je volais transpercé de lumières glacées et claires comme de l’eau de roche. Les Pyrénées, à perte de vue, émergeaient des piémonts et des sierras, noyés de brume et de poussière. J’étais euphorique comme un socio-démocrate après l’abdication du tsar Nicolas II. Les vents m'étaient favorables. Rien ne laissait présager que ses traîtres me lâcheraient comme les bolcheviques la démocratie, pour me jeter non pas dans les poubelles de l'histoire mais sur les prairies de l'Hospital de Benasque.
Quel Âne! Au lieu de passer la frontière au plus court entre Port Vielh et Sacroux, comme le fit une belle Zeno supersonique dans un aller retour express sur l’Aneto, nous filâmes à nouveau sur Literole et Remune. Mais les terres qui, en été à la même heure, étaient gavées de soleil et généreuses en ascendances, étaient aujourd’hui sous exposées et stériles. J'avais oublié que nous étions en Automne. Le calme plat régnait al Paso del Buro. Je fuyais par dessus le val de Remune pour passer au nord la crête frontière.
No pasaran. Au début, la crête était bien en dessous de ma ligne d’horizon. Mais au fil de la transition, le relief remonta rapidement dans mon champ de vision. Le plateau de Superbagnères disparut des radars. Tel un misérable moucheron, moi qui jusqu'alors était un aigle, j’allais taper l’épicentre du fracas tellurique qui avait dressé les plaques eurasiennes et ibériques l’une contre l’autre, il y a 50 millions d’années. Le vol changeait soudainement de dimension. Envolés grands espaces, planeurs et rapaces, je plongeai dans les abysses minéraux de Remune mais sans l’aisance du cincle plongeur ou du martinet. Se dressait devant moi une immense muraille, qui auparavant d’en haut, n’était qu’un un tas de cailloux insignifiant. La sortie se trouvait en bas plein Est sur les prairies du val d’Eséra au pied de la Maladeta.
Mailh Planet. Le versant Sud du val de Remune où je me retrouvai enfermé, était incroyablement sec et lumineux. Dalles nacrées striées de strates rouillées, pierriers d’ivoire et de bronzes lustrés, rochers rouges, toute une orogenèse tourmentée défila sous mes yeux. L’alarme du taux de chute sonna, signe qu’il fallait dégager fissa de ces miroirs aux alouettes. Plus je descendais vers la sortie à l'est et plus les deux versants du vallon se rapprochaient. Notre couple, jusqu'ici harmonieux, se mit à battre de l’aile et que je retins malgré tout. Je tairai le bref instant de panique et les quelques secondes ou il me me semblait ne plus maîtriser grand chose. Au bout du compte et c'est bien là l'essentiel, nous ressortîmes unis de la souricière. L’équipage mit pied à terre in extremis mais proprement sur les pelouses, en contrebas de l’Hospital de Benasque. L’air circulait en tous sens et descendait principalement de France.
Blaue Reiter. Mon aile adorée blottie sur le dos, je redevins piéton. Retour en France par le port de Benasque. Je pris l’ancien sentier muletier de la Pena Blanca qui domine la vallée supérieure de l’Eséra. Ses lacets sinueux aussi larges et bien pavés que ceux de la via Appia, sont taillés dans un vaste affleurement calcaire, ouvert au sud sur les monts Maudits et au sud ouest sur les Posets. A mesure que le soleil déclinait, l’air devint immobile. Arrivé à bon port, Ciel et Terre avaient revêtu une tunique bicolore orange et noire, l’une sous l’autre dépassant à peine, comme le dit le poète Persan. Le soleil couchant perçait la frange de nuages assagies; là où précisément je me trouvais il y peu. Rien ne troublait le paisible silence qui régnait ici à présent, hormis le souffle, puisqu’il en faut toujours un, de ma respiration. Le souvenir de la cavalcade aérienne se reconstruisit dans le pas lent sur le sentier poussiéreux qui me ramena à la nuit tombée à l'Hospice de France.
Fabrice Iché
Alexej von Jawlensky “La solitude”1912