Dans les pas de Balthazar et Mahomet

Ciel des Pyrénées centrales. 22 août 2017. Le soleil et l'euphorie sont au zenith. Depuis deux heures, l’altimètre oscille entre 3 et 4000 mètres. La barre des 4000 vole en éclats et en passant quelques principes aussi: les lois de la gravité mythe ou réalité? 

Les instruments indiquent 15000 pieds ou FL150. Usons du jargon aéronautique puisque nous approchons de là où circule l’aviation commerciale. De nuit, nous verrions les halos lumineux de Barcelone, Toulouse et Poubeau. Nous vous informons que nous survolons actuellement la montagne du Batoua. La température est au sol est à plus 30 degrés, ici de quelques petits degrés à peine. La troposphère brasse la fraîche appréhension avec l'émerveillement d'être là comme par miracle. Mr Wint ne dit-il pas, dans "Les diamants sont éternels:"Si dieu avait voulu que l'homme vole, il lui aurait donné des ailes Mr Kidd." 

Je me réchauffe en remuant les jambes comme les cigognes les pattes quand elles sont happées à la verticale au cœur du thermique au milieu des brindilles et des fourmis volantes. Notre vitesse de croisière est de 15,4 km. C'est lent, c'est bon. C'est le parapente. Un sac à dos de 10 à 20 kg rempli de fils, de sangles et tissus reliés un harnais. L'ensemble déplié se transforme en planeur de poche.  Quelques pas d'élan dans la pente remplissent d'air la voile qui prend sa forme. A une vitesse donnée, voile et pilote se soumettent aux lois physique de la mécanique de vol.

Transition grand tourisme. Tout avait commencé par une heure et demi de marche pour atteindre le Céciré (2400 m) qui domine à l'est le plateau de Superbagnères et au sud la vallée du Lys.  C'est à son sommet que Jacques Hélin, Frédéric Juvaux et moi même allions décoller. La journée s’annonçait exceptionnelle. La promesse n'avait pas échappé aux deux contrebandiers volants que nous vîmes s'élever des premières loges situées prés de la frontière. Les bandits avaient dû monter la veille et bivouaquer sur les hauteurs entre Hounts Secs et Sarnés près de la frontière, face au cirque des Crabioules. Sans doute était-ce Marc Boyer dont je savais l’attrait pour ce petit altiplano où jadis il se posa pour bivouaquer. Plus de temps à perdre. Il faut se mettre en l’air et quitter ces terres caniculaires. Le premier thermique était allegro con fuoco: https://www.youtube.cowatch?v=ym4-1RN8nIc&list=RDym4-1RN8nIc

Un gain d’altitude de 1000 mètres à la verticale du Céciré , offrit la première transition grand tourisme du jour. Très vite, je perdis de vue Fred, parti chercher le passage du nord ouest. Rallier le Pic du midi et l’Aneto, tel était son périple qui le conduira des confins de la Bigorre aux Monts Maudits. Le mien était moins ambitieux: Rester le plus haut possible sur la chaîne pour réduire les transitions entre les zones ascendantes, et donc éviter ces pertes d'altitude qui conduisent en fond de vallée, impasses torrides balayés de brises empêcheuses de tourner en rond. Je passai haut les mains par dessus le haut Larboust et le val d’Arrouge plein ouest, direction le Louron, droit vers l'Estos lumineux.

Millefiori.  La traversée de la vallée offre un temps de répit. En s'écartant des reliefs, la distance qui nous en sépare, est un gage de sécurité.  L'air est calme, on se détend et on lâche les commandes. Revers de la médaille, cette absence d'ascendance occasionne la perte du précédent gain d’altitude. Redescendre prés des rochers pour trouver l'ascendance salvatrice, est une phase éprouvante qui génère une grande tension.

J'aborde avec une certaine anxiété la face est du Pic d'Estos: étrave vertigineuse  qui coupe les forêts et les estives arrondies du Louron, des reliefs minéraux de la crête frontière. Ce sommet marque la début d'une longue ligne de crête. Courant d'abord plein ouest, elle s'incurve ensuite au sud ouest et pénètre le cœur de la chaîne jusqu’au Batoua en passant par le Lustou, sans jamais ne descendre en dessous 2500 mètres. Dans ce vaste amphithéâtre surchauffée, la face sud du Pic d’Estos brille comme un verre de Murano. Cet émail grand feu m'éblouit comme elle a jadis ébloui Patrice de Bellefon dans le récit de son ascension par la voie des frères Ravier ”les cent plus belles courses des Pyrénées”. 

Spice boy. Lair dilaté par la chaleur, léger et bouillonnant, me transporte le long de la paroi, mille mètres plus haut. Au bas de la muraille, un reflet accroche mon regard. Jailli d'un filon de jade, un éclat vert fluorescent glisse le long du socle rocheux.  Une aile, minuscule émeraude, tournoie dans l’arène étincelante battue par la puissante vibration de l'air invisible. Je reconnais son pilote, Julien Mathis qui enchaîne virages et spirales resserrées puis élargies. Son aile est une cape avec laquelle il exécute une série de passes face à l'air furieux. Il en maîtrise la force invisible qui le propulse lui aussi au paradis dans l’Azur paisible et frais. Ensemble, nous franchissons la barre des 4000 m. Puis nos routes se séparent.

Balthazar. Les vallées que je survole ne sont pas le bout du monde et ce périple n'a rien d’exceptionnel. Mais pourtant je me sens embarqué dans une odyssée que la rareté et la singularité rendent merveilleuses. La bienveillance d’Éole m’emporte par dessus les sentiers du Moudan et de Rioumajou, jusqu'au Pas de Balthazar que je ne franchirai pas.

A l'aplomb du pic Schrader, le doute m'envahit. Le bleu du ciel redevient vide de signes d'ascendance. Suis je capable de revenir sur mes pas? Les fins météores qui apparaissent sur le Haut Aragon, dissipent mes inquiétudes. Et les fils qui me relient à l'aile ne sont pas de cire. Tramés en Edelrid A-6843-160/200/240/340, ils offrent une solidité à tout épreuve des plus rassurantes.

J'atteins mon plafond max, 4626 mètres dans le bleu. Sans  affaiblir le puissant éclat du soleil, des volutes de soie blanches, lumineuses et glacées, viennent effleurer l'aile. Porté par le chant du vent relatif, je me laisse dériver au gré de ces voiles éphémères, sirènes pacifiques qui exercent sur moi un irrésistible ascendant.

Je file plein sud, perds mille mères d'altitude, passe les Posets et vire plein est direction l'Aneto. Je traverse à nouveau un désert d'ascendances. Panique à bord. Point bas à la Tuca de la Trapa. Plein Nord, se dresse l’imposante crête frontière, coiffée de cumulus humilis magnifiques. Entre terre et  nuages, de petits croissants colorés circulent. Je trépigne et veux retourner là haut. Après avoir abordé des versants plus généreux en ascendances, je regagne la voie royale qui du Perdiguère part plein sud est, enjambe la vallée d'Esera, pour rejoindre l'échine faîtière de la Maladeta.  Je reste faire les cent pas autour de celui de Mahomet. Je suspends le plan de vol  au simple désir de flotter et de profiter de la vue les mains dans les poches, en faisant juste en sorte de cheminer à la lisière de l'ombre des nuages et de me placer face au soleil, pour me réchauffer.

Une rue de cumulus court à plus de 4000 m, le long de l'échine dorsale de la Maladeta. Elle est en train de gentiment se souder quand j’ai la joie de revoir Fred, mille mètre plus bas, rebondir en plein soleil au dessus du val de Créguenia. Seul durant la majeure partie du vol, c’est enthousiasmant de le recroiser sur le toit des Pyrénées. Les retrouvailles sont brèves. L’homme veut boucler l'ultime segment de son beau triangle F.A.I. C'est une étoile filante qui repart plein nord, direction les estives du Bacanère entre les vallées de la Pique et de la Garonne. La fin d'après midi approche. L'aérologie est active mais sans turbulences. Je musarde par Ramougne, Litérole et Quaraït et pose sur les crêtes de Lespones adossées au plateau de Superbagnères. Fred me rejoint après avoir bouclé une régate de 84 milles par dessus les deux versants des Pyrénées. 

Fabrice Iché